CONCOURS -Monsieur le président de la République,
La situation dans laquelle je me trouve ainsi que 8000 collègues m’oblige aujourd’hui à prendre la plume. Je suis candidate admissible au CAPES interne d’histoire géographie et, aujourd’hui, notre cas est traité avec la plus grande des injustices et le plus grand des mépris par votre ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Pour passer le concours interne de l’enseignement, il faut justifier de minimum 3 années au service de l’État. Nous sommes enseignants, CPE, AESH, assistants d’éducation, sur des postes contractuels. Cela veut dire que nous ne sommes pas titulaires et que nos contrats peuvent durer une année, un mois, une semaine. Il nous est impossible de construire un avenir tant notre situation de contractuel est précaire.
Nous avons passé les concours internes de l’enseignement pour être titulaires de notre poste et enfin construire sur le long terme nos vies personnelles et professionnelles. 8000 d’entre nous ont été déclarés admissibles pour passer la deuxième phase du concours: les oraux. Toutefois, la crise sanitaire de la covid-19 a tout bouleversé. Vous le savez. Moi aussi.
Face à cela, des décisions ont été prises, dans tous les domaines. Bien sûr, il est difficile, en ces temps inédits, d’obtenir un consensus national. J’en suis consciente. En revanche, nous, êtres humains, demandons de l’humanité et surtout, de l’égalité. C’est ici, précisément, que nous avons un problème.
Le 15 avril 2020, Jean-Michel Blanquer a décidé que les concours de l’éducation nationale seraient modifiés. L’épreuve écrite des concours externes, qui, en temps normal, est une épreuve d’admissibilité, devient cette année, l’unique épreuve d’admission.
Il avait aussi décidé que, pour les concours internes, les oraux se tiendraient en septembre/octobre 2020, dans un “souci d’équité et d’égalité”, avançant comme argument que “les concours internes sont dans une moins grande urgence”.
Il mettait en avant dans la presse uniquement le cas des enseignants souhaitant passer l’agrégation interne. Souvent, ces enseignants sont déjà titulaires de leur poste. Cependant, en ne se focalisant que sur ce type de candidats, il passe sous silence l’immense majorité des travailleurs précaires de son ministère leur manquant ainsi de respect. Son but? Manipuler l’opinion publique. Plusieurs fois interrogé à ce sujet, Mr Blanquer n’arrive pas à s’exprimer, bafouille, ne répète que les mêmes mots en boucle, des termes qui sonnent vides. Nous ne comprenons pas son argumentaire. La raison est simple: il n’a pas d’argument. Sa seule justification: “je l’ai décidé, point final”.
Nous avons formé un collectif, une pétition recueillant à ce jour plus de 23.000 signatures est en ligne, nous avons obtenu le soutien de TOUS les syndicats enseignants, ainsi que de la majorité des groupes politiques du Parlement. Tous ont contacté votre ministre, lequel demeure dans le silence le plus total.
Nous avons appris par la suite, et médias interposés (nous n’avons a priori jamais été dignes de recevoir les informations nous concernant, par courriers, qu’ils soient électronique ou papier) que les oraux étaient annulés et que seraient reçus les candidats, uniquement dans la limite des postes disponibles, soit 4000.
Une insulte, un affront
Monsieur. Si je résume la situation, un jour vous nous dites que nous sommes admissibles, le lendemain 4000 restent sur le carreau.
Pourquoi n’avons-nous pas le même traitement que les externes, à savoir: première épreuve = seule épreuve = admission?
Nous avons déjà réussi notre épreuve d’admissibilité. Selon un juste retour des choses, notre résultat d’admissibilité devrait se transformer, et ce pour les 8000 candidats, par une admission, comme pour les externes.
Nous sommes des professionnels qui enseignons et travaillons avec les élèves depuis MINIMUM 3 ans. Nous avons l’expérience et les qualifications nécessaires pour être titulaires. Nous avons été parmi les enseignants de la France apprenante pendant le confinement. Vous avez été bien heureux de nous y trouver. Et pourtant, nous n’avons pas le même traitement que les externes. J’ai moi-même passé les concours externes par le passé et ne remets pas en cause la qualité de leurs candidats qui, pour la plupart, sont étudiants. En revanche, je dénonce ce traitement qui consiste à ignorer et laisser pour compte des professionnels compétents au profit de candidats encore inexpérimentés qui ont bien plus à apprendre que nous. Tout cela dans un contexte où le besoin d’enseignants est important face à une pénurie massive et une crise des vocations. Il manque d’enseignants, il y en a 8000 qui veulent l’être et vous les refusez!! Comment voulez-vous créer des vocations si vous traitez votre personnel de la sorte?
En effet, en parallèle, M. Blanquer lance une campagne de recrutement sur Konbini, l’Onisep et d’autres canaux pour inciter les étudiants en deuxième année de licence, à devenir enseignant, en leur proposant de travailler dans les collèges et lycées 8 heures par semaine et ce, “mieux payé qu’un fast-food”!
Quelle insulte!
Quel affront!
Mr Blanquer a aussi expliqué que 4000 d’entre nous seraient reçus et les 4000 autres seraient inscrits sur liste complémentaire, appelés au fur et à mesure des besoins au cours de l’année. On prend les gens comme on choisit des légumes sur un étal. Cette liste, c’est de la “poudre de perlimpinpin” comme vous dites.
La réalité de la situation
Laissez-moi vous expliquer la réalité de la situation: des résultats sont tombés. Non seulement tous les postes ne sont pas pourvus, c’est-à-dire que sur 4000 postes ouverts, tous ne sont pas comblés par un enseignant. De plus, certains concours ont une très faible liste complémentaire, voire aucune. Nous passons d’admissibles à recalés sans avoir pu nous battre. Vous ne nous jugez pas assez compétents pour être titularisés. En revanche, vous nous convoquez tambour battant pour être jurés des oraux de bac et pour tenir les classes tout au long de l’année.
De plus, la nouvelle notation pose de très grandes questions en termes d’équité entre les candidats, si grandes que certains jurys de CAPES ont démissionné à l’instar du jury de philosophie. Êtes-vous au courant, Monsieur le Président de l’opacité totale de ces nouvelles notations? Il suffit de relire la lettre de démission du jury de philosophie pour en avoir l’explication: “il nous est par ailleurs demandé d’établir une liste d’admis et de discriminer des candidats ex aequo à partir de notes personnelles non récentes sans avoir la possibilité de réexaminer les dossiers”. Les mots sont posés. Nos examinateurs nous réévaluent sans avoir accès à nos dossiers. Ils se basent sur des notes établies il y a plus de six mois. Mr Blanquer s’accroche à cet argument imparable, chevillé au corps, martelé sans cesse, mais vide de sens: “dans un souci d’équité et d’égalité”.
Monsieur le Président, les règles ont été modifiées en cours de jeu sans recueillir l’accord de quiconque. C’est ici “manifester de l’indifférence voire du mépris envers les candidats”. Ce ne sont pas mes mots, mais ceux du jury démissionnaire de philosophie, qui se pose la question de la “dignité de l’éducation nationale”. N’est-ce pas une interrogation grave?
Monsieur, notre demande n’est pas une folie. Elle n’est pas inédite non plus. Reprenez les archives. En 1968, un plan de titularisation a été adopté pour 8000 non-titulaires (ce chiffre ne vous rappelle rien…?). Mr Bayrou, en 1993, alors ministre de l’Éducation nationale a titularisé plus de 50.000 contractuels. Et pourtant, je ne pense pas qu’une génération d’élèves en soit sortie traumatisée et en porte les séquelles encore aujourd’hui. Surtout que dans notre cas, nous avons été évalués une première fois puisque déclarés admissibles, au-delà des évaluations annuelles et de nos inspections.
Pourquoi refuser de tous nous accepter?
Est-ce une question de budget? Étrange puisque vous avez su trouver 200 millions d’euros à verser dans les “vacances apprenantes”...
L’argument est-il alors politique? Monsieur le Président, ne me dites pas que vous souhaitez laisser plus de 4000 personnes corvéables à merci et dans la précarité?
Non, je refuse de croire que vous, Président de la République, élu au suffrage universel par NOS soins, vous laissiez vos concitoyens dans une situation aussi injuste et précaire.
N’êtes-vous pas le Président de la République française, pays démocratique qui porte de fières valeurs, comme la liberté, l’égalité et la fraternité? Où est l’égalité Monsieur? Où est la fraternité?
Derrière chaque décision prise il y a des vies. Des vies, des sacrifices et en ce moment, beaucoup de lassitude et de désespoir. Il suffit d’écouter nos histoires pour s’apercevoir que notre revendication n’est pas un caprice. Nous avons tous beaucoup perdu dans ce concours, pas seulement du temps...
Nous avons l’impression d’être dans une pièce remplie de monde, en hurlant, sans que personne ne nous entende. Pourtant, nous savons que vous nous voyez. Nous faisons du bruit, beaucoup de bruit.
Revenons quelques instants en 2017 si vous le voulez bien. Qu’aurait été votre réaction si vous aviez été qualifié pour le second tour et puis que, finalement, quelqu’un vous annonce, sans autre forme de procès que non, vous ne serez pas président. Auriez-vous baissé les bras? Accepté sans rien dire? Je ne le pense pas. Vous vous seriez battu bec et ongle.
Admettez les 8000 admissibles
Et bien nous aussi nous nous battons. Car il s’agit de nos vies. Et de nos élèves. Nous sommes comme le roseau. Nous plions, mais ne rompons pas. Jamais. Notre bataille est juste et légitime.
Le 17 mars dernier, vous avez affirmé: “nous sommes en guerre”. Nous sommes en guerre et vous sacrifiez vos troupes sur l’autel de la politique? Est-ce une bonne stratégie? Comment se relever de cette situation? Quelqu’un décide de notre réussite ou de notre échec sans que l’on ait pu se battre? Comment se relever d’un échec qui n’en est pas un, mais plutôt une décision arbitraire?
“Je puis tout pardonner aux hommes, excepté l’injustice, l’ingratitude et l’inhumanité”. Encore une fois, ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Diderot. Vous voyez, même trois siècles plus tard, ses paroles résonnent et font écho en chacun d’entre nous.
Monsieur, mes 8000 collègues et moi-même avons une demande. Non, nous avons une exigence claire et légitime: admettez les 8000 admissibles.
Laissez-nous le droit de vivre de manière décente et de construire une éducation sereine pour nos élèves. Laissez-nous être fiers de notre métier. Vous avez le pouvoir de changer les choses.
La confiance en notre ministre est depuis bien longtemps brisée. Allons-nous perdre notre confiance envers notre Président?
Monsieur. Il est temps d’agir. Admettez-nous.
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