Plus on en lit, plus c’est évident: les comics n’appartiennent pas seulement à la sphère du divertissement. Ils facilitent la réflexion sur l’espace social et la mutation des mentalités. Les super-héros semblent étrangers à la réalité? Par leurs aptitudes bien sûr, mais c’est la perspective métaphorique et symbolique qu’il importe de considérer.
DCeased (Urban Comics) est une mini-série qui fait fortement écho à l’époque: un virus se propage à la fois par Internet (réseaux sociaux) et le contact physique. Il dérive d’une mutation incontrôlée de l’équation d’Anti-Vie de Darkseid et fait des humains des créatures agressives, littéralement incontrôlables, dont la véritable personnalité disparaît. Les plus grands super-héros tentent de combattre l’infection avant d’y succomber les uns après les autres… Il convient bien sûr d’y voir une méditation sur ce que deviennent les réseaux sociaux depuis quelques années, à savoir une caisse de résonance de toutes les haines cumulées, des passions humaines les plus atroces. L’atmosphère particulièrement sombre de cette aventure singulière de l’univers DC (scénarisée par Tom Taylor, le formidable artisan d’Injustice) tient en haleine de la première à la dernière page.
Batman: Détective (Urban Comics), à travers ses tomes 1 (“Mythologie”) et 2 (“Médiéval”), de Peter Tomasi et Doug Mahnke, ravira les fanatiques du chevalier noir. La plongée au cœur de l’âme de la célébrissime chauve-souris en uniforme et cape se révèle passionnante de bout en bout, tant elle ausculte patiemment quelques-unes des obsessions fortes de Batman, et de sa signification philosophique essentielle. Cette interrogation sur ce qu’est véritablement l’identité chevaleresque, la vocation et le dévouement, mais aussi sur le besoin de justifier son existence et de mourir à soi-même pour devenir un recours pour autrui, donne au personnage mythique que nous connaissons depuis toujours des reliefs complémentaires, ou confirme ces derniers à ceux qui suivent ses exploits en expert des comics. On y découvre également que Bruce Wayne considère qu’il est son premier et meilleur ennemi: celui dont dépend sa capacité à toujours faire face…
On a toujours plaisir à retrouver ce bon vieux Superman, y compris quand il se révèle fragile et traverse des périodes particulièrement difficiles. C’est le cas dans la série Clark Kent: Superman (Urban Comics/DC) menée tambour battant par Brian Michael Bendis et Marc Andreyko. L’Homme d’acier y apparaît plus que jamais comme un véritable terrien tout autant qu’un kryptonien. Ses doutes sur son union avec Loïs, ses rapports problématiques avec son père finalement vivant, son désarroi pour indiquer un chemin de vie à son propre fils, unique en son genre, dévoilent lentement d’autres facettes de sa personnalité que n’épuise pas son rôle de justicier. L’ensemble sonne assez juste et évite la plupart des pièges habituels, c’est-à-dire la transformation du métahumain en éponge émotionnelle caricaturale qui racole les tendances psychologisantes à la mode plus qu’elle n’étudie l’authentique complexité intérieure du personnage. De surcroît, la chute du dernier volume se révèle assez inattendue et créative, ouvrant de nouveaux horizons sur la thématique “nouvelle génération”…
La deuxième saison d’Injustice (Urban Comics), cette réalité alternative dans laquelle Superman devient un dictateur sanguinaire suite au meurtre de Loïs, ne trahit pas les attentes du public curieux. Après la mise en place d’un régime totalitaire par le titan à la cape rouge, on pouvait légitimement craindre que le filon s’épuise. Il faut reconnaître qu’un nouveau souffle fut astucieusement trouvé à travers le combat écologique et ses dérives potentielles. Batman occupe toujours le centre de la scène tandis que Clark demeure en retrait forcé… Quelques personnages plus anecdotiques de l’univers DC prennent la lumière dans cette création singulière, ce qui donne un peu d’air dans la –parfois– trop forte exposition des “poids lourds” emblématiques. On se laisse faire sans difficulté mais il faudra vraiment beaucoup d’imagination pour la suite…
Pour les nostalgiques des années 70, plus précisément ceux qui étaient adolescents au début des années 80, il est désormais possible de retrouver les New Teen Titans dans une série en quatre volumes. Robin (le futur Nightwing), Starfire, Wonder Girl, Kid Flash, Raven, Changelin et Cyborg, y font le difficile apprentissage du travail en équipe. Ils découvrent dans le même temps que le statut de super-héros n’a rien d’une sinécure. Les interrogations se multiplient sur la responsabilité, le refoulement des démons intérieurs et le poids d’une vocation dévorante. Après avoir fait connaissance avec leurs illustres et divins prédécesseurs (les Titans de la mythologie), ils travaillent leur identité propre, tentent de s’imposer dans un panthéon de métahumains déjà luxuriant. Les amateurs se délecteront du graphisme si caractéristique de l’époque et renoueront avec un temps encore pétri d’optimisme où la “contre-culture” américaine laisse planer un parfum d’émancipation et d’optimisme dans le comportement des héros masqués. Un climat qui se modifiera à partir du milieu des années 80.
Passons chez l’éternel concurrent de DC: Marvel. Le concept est simple mais fort: si Peter Parker, allias Spider-Man, subissait les ravages du temps? Il en découlerait sans aucun doute des interrogations, des doutes et des fragilités qui influenceraient considérablement les exploits, les motivations et les choix du tisseur de toile. Spider-Man. L’histoire d’une vie (Marvel/Panini Comics) s’avale d’une traite. L’action, très soutenue, nous entraîne dans des situations improbables et créatives où l’Homme-Araignée croise de nombreux adversaires et alliés confrontés durement aux événements que la planète a traversés depuis 1962. Certains ennemis de Peter prennent également une densité psychologique particulière à travers ces pages stimulantes. Le tout forme une sorte d’introduction explosive et très réussie à la lecture de l’un des plus célèbres super-héros de Marvel aux côtés de Captain America, Thor et Iron Man. Ce volume devrait amener de nouveaux lecteurs à “Spidey”…
Reste à ceux qui veulent remettre en perspective l’aventure artistique des comics à feuilleter Marvel 80 ans. La véritable histoire d’un phénomène de la pop culture (Panini Comics). Ce petit guide de la “Maison des Idées” explore le jeu complexe entre l’évolution de nos sociétés depuis les années 30 et la dynamique créative de l’entreprise Marvel. L’histoire des dessinateurs et scénaristes éclaire leurs personnages et permet de structurer l’analyse que mérite cet univers fictionnel dont la portée sociologique et intellectuelle s’avère plus vaste que ne le pensent beaucoup d’universitaires occupés par la production de commentaires sur la culture populaire du XXe siècle.
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