La campagne est terminée et l'heure est au bilan, en particulier en matière de communication politique. Comment les réseaux sociaux ont-ils été exploités par les candidats? Quelle influence ont-ils eu sur la campagne présidentielle? Ont-ils contribué au débat démocratique? Retour sur la campagne en douze enseignements.
Gare aux primaires...
Difficile de changer de "logiciel" pour une équipe de communication qui, pendant des mois, s'est organisée en vase-clos et a orienté toutes ses opérations vers les militants et les sympathisants de son propre parti. Les candidats issus des primaires n'ont pas trouvé de second souffle dans leur communication social media en panne d'innovation. Dans le camp Fillon, les réseaux sociaux ont surtout servi à "hystériser" un peu plus les troupes après l'éclatement de l'affaire #Penelopegate, mettant par la même occasion à distance les esprits plus modérés de la droite et du centre.
Le grand défouloir
Les réseaux sociaux ont-ils participé au bon déroulement du débat démocratique ? Plusieurs observateurs ont surtout pointé du doigt les débordements de violence 2.0. A l'instar du collectif citoyen Obshaine qui, avec le soutien de Nord Littoral (La Voix du Nord), a interpellé les onze candidats à la Présidentielle au sujet de cette recrudescence d'insultes et de haine sur le web.
De "Farid Fillon" à la caricature antisémite digne des années 30, des propos homophobes aux intimidations subies par Joann Sfar après sa caricature de Jean-Luc Mélenchon, on gardera de cette campagne un arrière-goût de malaise.
Réseaux sociaux et posture antisystème
Les raisons de cette haine sont bien entendu à chercher dans la tonalité du langage entretenue par plusieurs candidats face aux "élites" et au "système".
Pour Marine Le Pen, comme pour Jean-Luc Mélenchon, les médias manquent de déontologie et sont l'un des pouvoirs de ce système qu'ils ont vocation à renverser. Ils ont donc incité les électeurs à faire entendre leur voix et à militer sur les réseaux sociaux, présentés comme des vecteurs antisystèmes. L'hypocrisie était bien entendu à son comble pour la leader frontiste comme pour le chef des insoumis, qui ont su gagner sur les deux tableaux, média et social media, grâce à cette capacité parfaitement maîtrisée de faire de l'audience et du buzz, tout en entraînant un cyber-activisme virulent.
Peu importe les faits...
Et peu importe si dans l'expression militante, les faits ne sont pas avérés. 25% des informations partagées pendant la campagne présidentielle seraient fausses selon une étude de Bakamo Social. De nombreux articles ont analysé le mécanisme des "fake-news". Mais le caractère le plus inquiétant de ce phénomène est le cynisme avec lequel certains électeurs "modérés" ont relayé une actualité qu'il savait délibérément fausse parce qu'elle allait dans le sens de leur conviction. Ainsi, on a pu voir des sympathisants de droite ou de gauche diffuser sur leur profil Facebook des intox issus de la fachosphère...
FN comme Fake-news?
Jusqu'au bout les cadres du FN auront d'ailleurs orchestré, avec l'aide de réseaux obscurs, la diffusion de fake-news anti-Macron plus ou moins réussies. De l'oreillette d'Emmanuel Macron pendant le débat, au faux SMS attribué à En Marche ! qui appelle à venir siffler et à détruire l'image de Marine Le Pen, les soutiens frontistes à tous les niveaux n'ont pas lésiné sur les moyens pour tenter de déstabiliser le candidat progressiste. Le compte caché aux Bahamas fut le point d'orgue de cette escalade grossière et dangereuse.
Caricatures et années 30
Toute campagne a son lot de caricatures... Etait-ce l'ambiance délétère ou le manque de culture historique qui fut à l'origine de cette image antisémite représentant Emmanuel Macron sur le compte Twitter des Républicains ? François Fillon recadra fort heureusement son directeur de la communication en précisant que "Le combat politique est rude mais il doit rester digne. Il ne saurait tolérer que [son] parti diffuse des caricatures reprenant les codes de la propagande antisémite".
Filteris ou l'échec du big data
Filteris, l'entreprise canadienne spécialisée dans l'analyse du buzz sur les réseaux sociaux, avait pourtant donné l'espoir d'un vote caché aux fillonistes à quelques jours du scrutin. Elle avait même placé Emmanuel Macron en quatrième position derrière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais, ce genre d'outil, qui avait aussi bénéficié de "Fake-news" sur leur capacité à prédire le Brexit, n'est pas encore suffisamment mature. Ceci s'explique, entre autres, par leur incapacité à reconnaître l'ironie, le second degré ou d'autres subtilités du langage.
Le big data a néanmoins trouvé des applications efficaces dans le pilotage d'une stratégie électorale basée sur les données citoyennes. L'équipe d'En Marche ! a fait appel à Liegey Muller et Pons pour qualifier les quartiers en termes électoraux, sociologiques, et se concentrer sur les indécis.
Où est passé Alexandre Jardin?
Transition, LaPrimaire.org, Nous Citoyens, Bleu, Blanc, Zèbres ... Les initiatives citoyennes ont eu des difficultés à exister, préemptées de toutes parts par la Primaire citoyenne du Parti socialiste, En Marche ! ou encore les insoumis post-Nuit Debout.
Elles ont complètement disparu du radar médiatique au lendemain du dépôt des 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle. Intégrées en partie dans les grandes écuries, elles n'ont pas réussi, ni à imprimer le débat démocratique, ni à engager les principaux candidats sur un thème ou un pacte.
Youtube et Mélenchon: le débat sans contradicteur
"Vous êtes 320 000 abonnés à cette chaîne, vous êtes ma liberté, le moyen pour moi de m'exprimer sans être interrompu toutes les deux secondes, de développer une pensée en plus de 140 signes..." disait Jean-Luc Mélenchon au lendemain du premier tour.
Avec son émission phare "la revue de la semaine", le chef des insoumis a su s'imposer sur Youtube, le second moteur de recherche mondial après Google.
Pour le leader frontiste, Youtube est bien l'espace d'expression anti-système qui ne tolère aucune contradiction de journalistes vendus à la cause ultralibérale. Avec 30 millions de vues au total, Jean-Luc Mélenchon y a régné en maître.
100% Live et vidéo
La campagne 2017 fut aussi l'avènement du "direct" sur Facebook ou Périscope. Emmanuel Macron s'est illustré dans ce domaine avec une couverture quasi-systématique de ses déplacements et de ses principaux meetings sur Facebook. Suivi par une caméra de l'équipe de campagne, cette dernière a même joué un rôle primordial lors de la rencontre entre le leader d'En Marche ! et le personnel de Whirlpool, en étant la seule source des chaînes d'information continue.
D'une manière plus générale, la vidéo a été le format le plus plébiscité par l'ensemble des candidats qui se sont inspirés de media pure player type Brut.
Linkedin, le parent pauvre des réseaux sociaux politiques
François Fillon a boudé Linkedin et les autres candidats y sont globalement peu actifs.
Jean-Luc Mélenchon a bien créé son profil avec 6 tribunes et seulement 1665 abonnés... Avec plus de 6000 abonnés, Marine le Pen y a publié périodiquement des posts d'actualité, sans véritable ligne éditoriale et fil conducteur spécifique à la campagne. Emmanuel Macron a quant à lui réuni en 10 articles et quelques posts plus de 109 000 abonnés. Son profil a même été mis à jour depuis son investiture.
Snapchat, le ridicule ne tue pas
À chaque élection, son moment de coolitude. Comme il est difficile pour les personnalités politiques de s'adresser aux jeunes en épousant leurs codes... On l'a vu une nouvelle fois avec l'exercice Snapchat et le choix délicat du filtre. Sans doute l'un des pires moments de la campagne sur les réseaux sociaux avec celui de l'esprit cafet de "Parlons-en" de Florian Philippot sur Youtube.
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