L'interview présidentielle sur BFMTV du 15 avril 2018 fait date. Les deux journalistes retenus par l'Elysée pour interroger le chef de l'Etat ont usé d'un style inhabituel en France. Le président ne s'est aucunement départi de son quant-à-soi; or, les "questionneurs" ont voulu à plusieurs reprises tester son sang-froid -en l'interpellant notamment par son nom plutôt que par son titre. La prévenance conventionnelle si française vis-à-vis du monarque républicain n'était pas de mise lors de ce rendez-vous médiatique.
Sachant l'équipe présidentielle rompue à la communication politique, quel objectif était ainsi recherché? Il s'agissait de retrouver le "Emmanuel Macron" cassant les codes, souhaitant innover -par exemple pour garder le lien avec une partie de son électorat lassé par la politique traditionnelle. En creux, la confrontation valorisait sa capacité à rester droit face à des interlocuteurs peu amènes. Le téléspectateur ciblé -classe active et plus jeune à priori que pour le 13h de TF1-, devait pouvoir conclure que ce président inconnu il y a quelques mois est décidément capable d'exercer la fonction -les frappes en Syrie renforçant encore "l'Autorité" du chef.
Le fond dissonant
"Et en même temps"... ce jeu rencontre-t-il des limites? Le risque premier est celui de la contradiction apparente: en effet, le président et ses journalistes contradicteurs siégeaient au cœur d'un lieu de prestige, un palais chargé d'Histoire(s). Le style un peu débridé cadrait mal avec l'endroit.
Au-delà des symboles, le second risque, plus important, concerne le fond du message. Il peut ainsi paraître paradoxal d'insister à l'envi une fois de plus sur la fermeté, voire l'intransigeance du décideur démiurgique (à propos des conflits sociaux, de la fiscalité, de la conception de la laïcité) et au même moment, du fait de l'exercice formel, de rappeler l'entame de la campagne macronienne: la volonté de réinventer la politique sur un mode plus ouvert.
Le paradoxe est évident: si le format se veut nouveau, sur le fond, le présidentialisme passé est plus que confirmé –avec, si tant est que cela soit possible, une capacité plus grande encore à concentrer la prise de décision. Au vu des valeurs inspirant une partie des secteurs innovants et des plus jeunes (horizontalité, émergence, fabrique délibérée), de quelle régénération cette présidence est-elle pour l'heure porteuse? Au titre plus ouvertement revendiqué de l'efficacité, quelle nouvelle décision aurait été annoncée dans l'émission, qui indiquerait une inflexion collaborative, notamment en direction des collectivités territoriales? Essentielles à la concrétisation des projets, elles n'ont pas été citées une fois. Sans les associations agissant notamment en matière d'asile, ou d'accompagnement des personnes âgées, etc., peu de choses sont bouclées. Elles ont été également oubliées.
Où sont les jeunes?
Pour le pouvoir en place, le plus inquiétant vient donc du fossé qui se creuse entre forme et fond. À cet égard, le moment exigerait de crédibiliser une capacité d'écoute et de négociation avec la diversité sociale. Aujourd'hui 34% des enquêtés seulement pensent que le président est proche des préoccupations des Français -31% des 18-25 ans. Le bât pourrait blesser, notamment les plus jeunes, qui ont accordé au premier tour une adhésion mesurée au candidat de La République en Marche (18% selon IPSOS). Or, ils n'épargnent pas le président sur sa première année au pouvoir: ils ne sont que 5% à le créditer d'une capacité à renouveler la politique (contre une moyenne de 11%), et 19% à penser qu'il a la volonté de réformer –contre une moyenne de 35%. Ils sont 45% à ne rien trouver de positif concernant Emmanuel Macron! Ils le jugent plus que la moyenne (38/32) déconnecté des réalités quotidiennes. Ils sont critiques vis-à-vis de son excès de communication (sic) et de son incapacité à tenir ses promesses...
Sur le fond, quel engagement le président a-t-il pris lors de ses prestations télévisées pour trouver la confiance de ce public difficile, en partie séduit par la fuite ou la contestation radicale? Vis-à-vis des jeunes en souffrance, le message de fermeté risque de rompre la communication, et de faire diverger pour un moment la forme revendiquée comme libérée de l'entretien d'hier, et le fond corseté des plus coutumiers... Dès lors, la crédibilité en matière de régénération serait entamée.
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