POLITIQUE - Du Conseil d’État à la majorité, il n’y a qu’un pas... et trois semaines. Presque un mois après l’avis très sévère de la plus haute juridiction administrative française sur la réforme des retraites du gouvernement, deux députés LREM s’inquiètent auprès du Premier ministre d’une réforme pour laquelle “rien n’est clair.”
Édouard Philippe, qui accueille à nouveau les partenaires sociaux à Matignon ce jeudi 13 février, a effectivement reçu une lettre lui demandant, en pas moins de quinze questions, des précisions sur le coût du projet.
Problème pour l’exécutif? Cette lettre n’est pas signée de parlementaires réputés frondeurs. Au contraire, elle émane de personnalités clefs de la macronie à l’Assemblée nationale: Laurent Saint-Martin et Émilie Cariou, tous deux membres de la commission des finances du palais Bourbon.
Ça craque dans la majorité?
D’autant que les députés, s’ils usent d’un langage forcément courtois dans leur missive au Premier ministre, ne se montrent pas franchement tendres avec la majorité dans le service après-vente de leur initiative. Interrogée par Le Monde, Émilie Cario qui est “whip” (en charge de la discipline de vote) au sein de la commission des finances déplore par exemple l’attitude “tout va bien, madame la marquise” de l’exécutif, alors que “rien n’est clair.”
″Certes, ce sont des sujets pour partie lointains, mais nous avons besoin des chiffres de l’économie globale de la réforme, sur ses impacts financiers et budgétaires. Cela va au-delà de la question de l’équilibre qui est discuté en conférence de financement”, regrette celle qui est également porte-parole du groupe à la commission des finances, avant d’estimer “qu’on est sûrement déjà sur un paquet de milliards.″
Même fermeté du côté de Laurent Saint-Martin, le nouveau rapporteur du budget. Lui estime que “le financement d’une telle réforme ne peut pas seulement se réfléchir par rapport à l’équilibre du système des retraites”, dans une critique qui s’inscrit dans la lignée de celle du Conseil d’État.
Des réserves qui ne sont pas franchement anecdotiques. L’immense majorité des députés LREM a beau se dire “regonflée à bloc” après l’opération rabibochage du président de la République mardi soir à l’Élysée, la macronie semble douter comme jamais elle ne l’avait fait sur une loi depuis le texte Asile et immigration de Gérard Collomb.
Le doute s’affiche désormais en public
Car pour l’une des premières fois depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, des élus exposent leurs doutes, voire leurs désaccords, en public. Outre ces interrogations formulées dans Le Monde, d’autres députés à l’image de Sophie Panonacle n’hésitent pas à écrire des tribunes pour faire entendre leur voix.
Dans un texte publié sur Le HuffPost, l’élue de Gironde formule plusieurs propositions pour que “la réforme des retraites profite aux femmes”. “Il est primordial que la situation des femmes soit pleinement prise en considération dans ce nouveau système”, explique-t-elle, sous-entendant que ce n’est pas le cas dans le texte initial.
Certains d’entre eux sont allés beaucoup plus loin en quittant le navire LREM en pleine crise. Trois en janvier, deux en février. Parmi eux, l’élue de Charente-Maritime Frédérique Tuffnell invoquait, dans une lettre adressée au patron des députés du parti présidentiel -et rendue publique-, son refus de “creuser davantage le fossé” créé par la réforme des retraites entre les Français et la majorité, pour tirer sa révérence.
Mais ces petites bisbilles internes, encore marginales dans un groupe qui compte 300 députés (et apparentés) au palais Bourbon contre 314 en 2017, sont loin d’être le seul problème de la majorité.
Après des mois de contestation sociale, après l’avis alarmant du Conseil d’État pointant -comme Émilie Cario et Laurent Saint-Martin- les “projections financières lacunaires” du gouvernement, l’exécutif doit désormais affronter une guérilla parlementaire au palais Bourbon.
Du conseil d’État au zadisme législatif...
Les discussions sur le projet de loi sont effectivement marquées par la flopée d’amendements (19.000 au total) déposée par les élus de la France insoumise. Ce que les principaux intéressés ont théorisé comme du “zadisme législatif.”
Première conséquence: la commission spéciale retraite s’est arrêtée au milieu du gué, mettant un terme à ses travaux mardi 11 février, sans pouvoir achever les discussions autour du volet principal de la réforme
C’est donc la version du gouvernement -lacunaire selon le Conseil d’État et certains membres de la majorité- qui sera examinée à partir du 17 février dans l’hémicycle, sans les minces changements votés en commission. Une situation inédite dans l’Histoire de l’Assemblée nationale qui ajoute du flou à l’incertitude.
Mais ce n’est pas l’obstruction parlementaire des Insoumis qui devrait le plus gêner les parlementaires de la majorité, mais bien les socialistes, leur droit de tirage et leur enquête parlementaire. Les députés du groupe ont effectivement usé de leur “droit de tirage”, un droit donné une fois par groupe et par session parlementaire pour créer une commission, afin de mener une enquête sur “la sincérité” de l’étude d’impact qui accompagne le projet de réforme des retraites.
Les élus socialistes -soutenus dans leur démarche par tous les députés de gauche- critiquent notamment “la hâte et la précipitation” qui “caractérisent les conditions d’examen” de la réforme, s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État qui a lui-même critiqué les projections financières du gouvernement.
Les délais maxima pour achever les travaux d’une commission d’enquête sont de six mois à compter de la date d’adoption de la résolution créant ladite commission. L’épineuse et contestée réforme des retraites n’a donc pas fini de peser sur les épaules de l’exécutif, et ce sans compter sur la mobilisation qui perdure dans de nombreuses franges de la société.
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