"Si tu ne partages pas la lutte, tu partageras la défaite." Brecht
18 samedis consécutifs dans la rue. 18 samedis aux côtés des gilets jaunes. Mais où êtes-vous chers amis artistes et intellectuels?
Nous avons pourtant marché ensemble pour le climat, plusieurs fois, convaincus de l'urgence. Nous avons manifesté ensemble pour sauver le régime des intermittents du spectacle. Nous nous indignons ensemble, régulièrement, du traitement inacceptable infligé aux migrants à nos frontières. Nous avons tous voté à gauche, toujours. Nous écrivons, nous jouons, nous créons pour dénoncer les travers de notre monde et pour susciter l'espoir d'un meilleur. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous sommes des personnes engagées.
18 samedis consécutifs. Une folle pièce de théâtre en 18 actes, bientôt plus, et un dénouement incertain. Des dizaines de milliers d'acteurs: travailleurs précaires, retraités, étudiants, chômeurs et autres citoyens marchant côte à côte dans les rues de France. 18 semaines d'occupations de ronds-points et de péages d'autoroutes, de lutte collective, de politisation accélérée. Ce n'est pas rien: des gens qui ne se parlaient pas, ou peu, d'autres qui ne votaient pas, ou plus, se retrouvent et développent une conscience politique. Et ni le froid de l'hiver, ni les fêtes de Noël, ni les grenades des gendarmes n'auront eu raison de leur détermination. Ils ne reculeront pas. Ils ne lâcheront rien.
"La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre." Camus, Les Justes.
Et vous, où êtes-vous depuis 18 samedis, que faites-vous? Qu'est-ce qui vous empêche de nous rejoindre, ne serait-ce qu'une fois, pour voir? "J'ai un brunch" ou "je rejette la violence"; "ma belle-mère est en ville" ou "je ne veux pas marcher avec des antisémites", "je dois préparer un rendez-vous" ou encore "la mobilisation est en baisse alors à quoi ça sert?"
Y croyez-vous vraiment à ces prétextes soufflés par les médias dominants? Et à vos 18 excuses différentes chaque week-end? Nous pensons que non.
Alors de quoi s'agit-il? De paresse? Ou pire, d'indifférence?
Puisqu'au fond, nous, artistes, intellectuels, entrepreneurs, de cette classe avertie qui réfléchit au monde, qui rejette l'injustice, nous sommes des nantis aux vies bien confortables! Alors pourquoi se bouger? Pourquoi sortir de notre confort?
Parce que ce mouvement est sans précédent pour notre génération et que nous ne pouvons pas l'ignorer, faire semblant de rien.
Parce que si nous étions si ouverts d'esprit et si instruits, nous nous devrions d'appréhender par nous-même qui sont ces gilets jaunes et qu'est ce qu'ils revendiquent vraiment.
Parce que nous voulons comprendre d'où part cette vague jaune révolutionnaire pour déterminer si nous devrions faire partie du bateau. Une opinion qui se forge à la rencontre, sur le terrain, et non pas à travers la lecture de médias "boucliers du pouvoir", ni à l'écoute d'éditorialistes bourgeois déconnectés des gens, ni même lors de simples débats entre nous.
Parce que nous pouvons aussi décider d'apporter nos ingrédients à ces réflexions et revendications qui surgissent de nos rues. Parce que nous sommes solidaires et qu'en comprenant cette convergence des colères, nous pouvons la transformer en une convergence des luttes.
Parce que nous voulons associer des actes à nos paroles:
Nous nous revendiquons écolos? Ca tombe bien, les marches pour le climat sont maintenant aussi jaunes que vertes. Et on retrouve dans les revendications phares des gilets jaunes des mesures d'actions directes pour le climat: taxe sur le fuel maritime et le kérosène, sauvetage du service public et renforcement des transports en commun, lutte contre l'évasion fiscale et abandon du CICE pour financer la transition écologique, grand plan d'isolation des logements, etc. Yellow is the new green.
Nous nous soucions de la justice sociale? Eux aussi. Et depuis le début ils protestent pour: zéro SDF, la hausse du smic à 1300 euros, la hausse des impôts pour les très grandes entreprises, le salaire maximum, etc. Joli programme pour ce mouvement sans leader où il y aurait "tout et n'importe quoi".
Mais aussi et surtout parce que nous ne pouvons pas tolérer cette violence gouvernementale qui menace les fondements même de notre démocratie et que nous devons ensemble faire preuve de courage.
Au 9 mars 2019, le journaliste David Dufresne recensait au minimum 510 blessés parmi les manifestants dont 208 à la tête, 13 à la main, 16 au dos, 41 aux membres supérieurs, 70 aux membres inférieurs, 22 éborgnés et 5 aux mains arrachées.
La Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU a demandé "urgemment une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d'usage excessif de la force", comparant ces pratiques à des événements observés récemment au Soudan, au Zimbabwe et en Haïti.
L'Europe nous montre du doigt. Amnesty International s'inquiète de la situation, le Défenseur des droits également.
Notre police, équipée d'armes létales, tire sur des manifestants pacifistes sous la tutelle du gouvernement et vous, rien ne vous inquiète?
Aux yeux des puissants, il est acceptable de tirer sur des "gens qui ne sont rien" et en plus, ils ne font pas de bruit car ils n'ont aucun poids médiatique.
C'est ça la démocratie? Comment pouvez-vous ne rien changer à votre quotidien quand ces exactions se passent à quelques rues de chez vous?
Rappelez-vous des mots de Martin Luther King: "accepter passivement un système injuste, c'est coopérer avec ce système et par là se rendre complice de sa malice".
Mais au fond, voulez-vous vraiment que ce système change? Une raison de votre absence ne serait pas la peur de l'inconnu? La peur de cette nouvelle voie, imprévisible, qui se dessine sur les lèvres jaunes des rues sans vous. Parce que vous et nous avons beaucoup plus à perdre que la majorité des gens. Cette société, c'est triste, nous est plus profitable et cette révolution pourrait venir ébranler notre confort quotidien. Mais est-ce ça ne vaut pas la peine d'essayer, de s'y frotter ne serait-ce qu'un peu pour voir et par solidarité?
Nous, nous y croyons et nous marchons avec les gilets jaunes tous les samedis. C'est vrai, parfois sans savoir exactement où nous allons mais avec la détermination profonde que si nous ne partageons pas cette lutte, nous en partagerons la défaite. Peut-être nos mots vous sembleront amers ou culpabilisants. Mais croyez-nous, c'est parce que l'on vous aime et que l'on sait que parfois il faut savoir se dire les choses entre amis. A samedi prochain.
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