TOURISME - Une saison à l’eau. Après la décision de Priti Patel, la ministre de l’Intérieur britannique d’imposer dès le 8 juin une quatorzaine à toute personne arrivant sur le territoire, la France appliquera un principe de réciprocité.
“Les voyageurs en provenance du Royaume-Uni, quelle que soit leur nationalité, seront invités à effectuer une quatorzaine lorsque la mesure britannique (...) entrera effectivement en vigueur”, annonçait fin mai un communiqué commun des ministères de l’Intérieur, de l’Europe et des Affaires étrangères et de la Santé. Peu importe que la phase 2 du déconfinement plaide pour une réouverture des frontières intérieures de l’Union européenne au 15 juin, le principe de réciprocité est pour l’instant toujours de mise.
Une mesure qui a de quoi inquiéter le milieu des affaires comme celui du tourisme. Dans l’Hexagone, les Britanniques représentent la première clientèle étrangère. “80% des Britanniques voyagent en Europe avec une part de marché de 19% pour la France. Ils constituent 15% des nuitées et 10% des recettes”, dresse sous forme de panorama Gwenaëlle Delos, directrice du bureau Atout France au Royaume-Uni, contactée par Le HuffPost.
Des chiffres dignes d’une carte postale idyllique qui pourrait pourtant s’effondrer cette année. Alors que le gouvernement britannique encourage ses ressortissants à passer leurs vacances dans le pays et déconseille toujours tout voyage à l’étranger, “les volumes de réservations vers la France sont pour l’instant très faibles”, constate-t-elle.
“Ce sont les étrangers qui nous font vivre”
Autant dire que dans ce contexte, certaines régions françaises ont beaucoup à perdre, en premier lieu la Nouvelle-Aquitaine, la région Paca, mais aussi la Bretagne, la région Parisienne, l’Occitanie et l’Auvergne-Rhône-Alpes. À juste titre, les professionnels du secteur s’alarment.
En Paca, c’est le flou le plus complet. Dans le département des Bouches-du-Rhône, les Britanniques constituent la 4e clientèle internationale du département, avec 175.000 nuitées en 2018, soit 10% des nuitées étrangères et 3% des nuitées totales. “C’est un gros morceau, confie Danielle Milon, présidente de Provence Tourisme et maire de Cassis. Cette quarantaine s’ajoute à une situation déjà très complexe pour le tourisme. On vit au jour le jour comme des convalescents qui commencent à remarcher”. Alors que le tourisme génère, toutes clientèles confondues, 2,5 milliards d’euros dans le département, elle estime déjà les pertes à 30%.
Des inquiétudes évidemment similaires en Dordogne, véritable campagne anglaise implantée au cœur du sud-ouest. “Nous sommes vraiment inquiets parce que c’est une grosse partie de notre économie touristique. Il devient compliqué de prévoir quoi que ce soit. C’est la première fois de ma carrière que je fais face à un flou de la sorte”, confie désemparée Katia Veyret, directrice communication de l’office du Tourisme de Sarlat, au HuffPost. Un attentisme qui génère un stress particulièrement difficile. “Ce sont les étrangers qui nous font vivre ici. En Périgord noir, le tourisme c’est 40% du PIB. Et nous voilà suspendus aux annonces de Londres”, ajoute-t-elle.
En Nouvelle-Aquitaine, si la clientèle britannique est particulièrement choyée, c’est aussi parce qu’elle “vient pour de longs séjours et qu’elle a un plus gros pouvoir d’achat”, relève Michel Durieu, directeur général du Conseil régional touristique en Nouvelle-Aquitaine, contacté par Le HuffPost.
Des régions suspendues aux transports
Ce dernier rappelle que la clef du redémarrage du tourisme étranger est largement dépendante du trafic aérien. “Le voyage en avion c’est le premier critère de la clientèle d’outre-Manche. Je pense qu’on peut tabler sur une fin de la quarantaine au début du mois de juillet. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils reviendront massivement car cela dépendra essentiellement de la reprise du trafic aérien, alors qu’on table en France sur 50% de la capacité aérienne à la fin de l’année. L’enjeu ce sera donc de récupérer ces touristes en 2020”, relève-t-il.
Pour l’instant, les décisions sanitaires prises par le gouvernement britannique sont prises toutes les trois semaines.
“La reprise du secteur aérien va se faire d’abord sur des liaisons rentables, ça entraînera donc une accessibilité moindre sur des bassins secondaires”, ajoute Gwenaëlle Delos qui voit tout de même dans les nombreux moyens de transport reliant la France à la Grande-Bretagne un véritable atout pour rassurer les touristes britanniques sur leurs capacités à rentrer en cas seconde vague estivale.
Pressions britanniques
Si les départements et régions misent beaucoup sur le 15 juin, date envisagée par Édouard Philippe pour une réouverture coordonnée des frontières en Europe, l’incertitude reste pourtant de mise. “C’est difficile de passer d’un message où on a dit aux gens de rester chez eux, de rester en sécurité à un message où on les encourage à voyager”, concède Gwenaëlle Delos. À cet égard ce sont plutôt les touristes des pays limitrophes comme la Belgique, l’Espagne ou l’Allemagne, qui sont attendus en premier dans les régions françaises.
Face à ces incertitudes, Dordogne comme Bouches-du-Rhône misent sur une clientèle française ces prochains mois et l’arrière-saison à partir de septembre. Pour autant, Michel Durieu tient à rappeler que “moins que la quarantaine, l’enjeu pour le tourisme, c’est surtout de savoir si les Français et a fortiori les Européens pourront partir en vacances. La crise économique est là”.
Sur le plan économique justement, le meilleur atout de l’industrie touristique française se trouve peut-être outre-Manche. “Ce week-end, plusieurs centaines d’entreprises de l’hôtellerie ont lancé une campagne pour que le gouvernement change sa décision concernant la quarantaine à l’arrivée sur le sol britannique”, précise Gwenaëlle Delos qui relève que pour les acteurs du secteur les effets de la crise sanitaire s’ajoutent aux incertitudes que soulevaient au préalable la question du Brexit.
Il n’est pas dit que les impossibles négociations en cours entre Londres et Bruxelles jouent vraiment en faveur de l’arrière-pays niçois ou de la route des Bastides.
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